05.25.10

elles@centrepompidou / Artistes femmes dans les collections du Musée national d'art moderne

Décçue la Mariée se rhabilla

27 mai 2010 - 21 février 2011 

« Le triptyque de la mariée a été réalisé à la suite d’un affrontement public - au sujet de l’autoritarisme d’une partie de la modernité -  entre l’artiste Daniel Buren et moi-même dans l’exposition 10 french Individualities à la Art Gallery of Ontario à Toronto (1991). C’est à la suite de cet événement (qui me valut ma mise au ban immédiate du monde de l’art français) que je décidai d'arrêter toute fabrication d'objets. Je voulais rendre la parole aux images - confisquée par les techniques communicationnelles - et pratiquer une décolonisation du moi, c’est-à-dire chercher les moyens de sortir de mon propre contrôle social, éducationnel et affectif, base d’un possible pour une responsabilité esthétique. L’art me semblait encore un espace de liberté dans le paysage décomposé des utopies. En cela, il me fallait changer radicalement ma position d’artiste, sortir d’une position d’exception et repenser la modernité sous l’angle de l’autorité. Pour Rendre la parole aux images, il me fallait accepter d’abandonner toute construction d’objets pour une pratique de la vidéo, résolue à ne filmer qu’un matériau incontrôlable : des personnes rencontrées par annonce, sans casting, avec lesquelles je partagerais mon autorité d’artiste. Il me fallait questionner l’autorité pour penser le monde dans son altérité et non plus dans ses utopies et ses promesses de bonheur ou de réparations, fussent-elles sociales ou esthétiques dans le corps même des œuvres. Toutes les promesses de bonheur entraînent des occupations de territoire, des trahisons, des exclusions, des meurtres.  Pour cela, il me fallait commencer par sortir de ce besoin permanent d’un art d’éternité. Cela ne pouvait se réaliser qu’au travers du concept de l’Adresse et de son rapport à l’altérité. Je voulais remplacer les figures par des visages. Un visage est une figure qui porte encore un nom. Je voulais tenter de voir ce qui pouvait encore faire lien entre des corps singuliers. Malgré tout. Une communauté avouable.

La mariée fut donc ma dernière construction. 

Elle n’est plus intouchable, perdue dans la voie lactée, mais à même le sol où elle expose sa fragilité. Elle porte une lumière qui brille en dessous de son voile et qui ne peut l'éclairer que huit heures par jour de façon autonome. Son énergie est comptée. Chaque soir elle s'éteint et il lui faut toute la nuit pour se recharger en énergie. Elle ne croit plus aux dieux, ni à l’autorité des pères et refuse toute idée d'éternité en abandonnant consciemment une part de son autorité.  La mariée, déçue, mais non pas trahie, annonce ainsi ma nouvelle vie et ma pratique du double touchée : le JE NOUS SOMMES et l’Adresse à l’Autre. Elle répond au spectaculaire (l’élévation) par une déposition.

C’est à la suite de la Mariée que je commence la très longue série vidéo des Living Pictures dans lesquelles je mets en place une pratique ULA : Universal Local Art.

* Historiquement le mouvement In Situ en prenant en compte les lieux, a tenté d’émanciper l’idée de territoire. Mais, souvent, la localité (la singularité) des territoires a été recouverte par les habitudes de conquête de l’universalisme autoritaire. Par exemple, les œuvres de l’artiste Daniel Buren sont peu affectées par ce qui se passe autour d’elles. Sa croyance dans les bienfaits d’un universalisme occidental basé sur le cadrage spectaculaire et perspectif, avec des œuvres qui doivent marquer le territoire de leur hégémonie, le place dans une posture de colonisation, qui charrie avec elle une culture autonome et expansive. Le procédé même de la répétition du motif devient une entreprise sublime et spectaculaire de contrôle du territoire, et non pas une singularité dans une langue universelle. À l’inverse, il me semble que les œuvres de Dan Graham se mettent en retrait de cet autoritarisme moderniste par le choix même du matériau. Les reflets des sujets et des paysages dans ses constructions de verre mettent en échec toutes formes d’unicité et de vérité.

En clair, ces deux grands artistes résument parfaitement les deux idéologies qui font notre quotidien artistique : un art vu comme une puissance esthétique et un art vu comme une responsabilité esthétique.

Finalement ce qui peut se charger dans des œuvres réalisées avec un face à face entre le local (la décolonisation du moi et la singularité du territoire) et l’universel (la globalité et la vérité), c’est la façon dont la singularité peut infiltrer le concept d’universalité pour en perturber l’autonomie et créer ainsi du mouvement. La pratique de l’abandon et le refus d’un art d’éternité en tant que mise en cause du pouvoir de l’art comme vérité autonome, est une hypothèse artistique que j’avance pour pallier à la violence du contrôle ».